Au travers du projet loi Industrie Verte, le gouvernement français répond à une volonté européenne de conjuguer ambitions industrielles et écologiques. Entreprendre Vert accueille positivement cet effort qui s’appuie judicieusement sur des synergies entre les enjeux écologiques et économiques. Nous regrettons néanmoins que cette stratégie ne soit pas portée à un plus haut niveau d’ambition, alors même qu’elle pourrait constituer un nouveau paradigme économique et apporter des solutions concrètes à toute une série de difficultés, en particulier sociales, auxquelles la France fait face aujourd’hui.
A l’heure où ce projet de loi fait l’objet de débats parlementaires, Entreprendre Vert rappelle la nécessité de transformer le système industriel pour le rendre profondément écologique et formule une série de propositions en s’appuyant sur l’expérience de celles et ceux qui entreprennent déjà en ce sens.
REPENSER “L’INDUSTRIE”
- Mener une approche intégrée entre les secteurs de production
La transformation profonde de notre industrie nécessite d’adopter une approche intégrée entre les secteurs primaire, secondaire et tertiaire et donc, de privilégier un raisonnement par filière pour ne pas se limiter à la manufacture. La réflexion sur la transition de l’industrie agroalimentaire, par exemple, doit s’étendre en amont et en aval des manufactures de transformation alimentaire.
- Développer des stratégies ambitieuses par secteur industriel
La transition écologique de l’économie française nécessite de reconsidérer les industries existantes et d’imaginer celles qui deviendront incontournables demain. Les secteurs industriels qui ont marqué l’histoire de notre territoire – industrie textile, tourisme, minier, aéronautique, automobile, agroalimentaire – doivent ainsi être repensés et les filières qui ne résisteront pas au choc climatique doivent être identifiées afin d’engager dès à présent leur transition. Plus généralement, la stratégie industrielle doit adopter une compréhension plus large des secteurs prioritaires afin de réorienter l’industrie vers la production de biens et de services essentiels. Enfin, une stratégie d’émergence de filières doit être définie afin d’anticiper les besoins industriels de demain.
- Intégrer la formation à la politique industrielle
La France doit associer le monde de la formation, aussi bien initiale que continue, à la politique industrielle. Cette intégration doit avoir lieu aussi bien à l’échelle nationale que territoriale afin que les structures de formation, publiques et privées, puissent s’intégrer aux projets locaux de circularité.
- Doter la France d’une stratégie d’économie de la ressource
La France doit définir une stratégie d’économie de la ressource visant, d’une part, à réduire et réutiliser la matière première employée et, d’autre part, à optimiser son utilisation en généralisant notamment les analyses de cycle de vie. Une telle stratégie nécessite de mener une évaluation nationale sur l’utilisation des ressources et matières premières dans l’économie française en adoptant une approche différenciée, selon les territoires, en particulier outre-mer.
- Développer une stratégie low-tech
La transition écologique nous invite à repenser l’innovation, non plus comme le développement de technologies strictement high-tech, mais comme le développement de technologies résilientes, réparables, appropriables par le plus grand nombre et répondant à des besoins essentiels. En d’autres termes, l’heure est au développement d’une stratégie low-tech à l’échelle de la France.
- Engager un dialogue social sur la transition écologique
L’appropriation de la transition écologique par les acteurs sociaux est un enjeu majeur. La transformation de l’industrie française nécessite donc de l’inscrire dans un dialogue social rassemblant organisations syndicales et patronales. Dans le cas particulier du bâtiment, ce dialogue réunira les professionnels et l’ensemble des acteurs du foncier pour tirer parti du bâti déjà existant plutôt que de construire du neuf.
INCITER À LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES
- Eco-conditionner les aides aux entreprises
Les aides publiques destinées aux entreprises doivent être strictement allouées aux structures qui s’inscrivent dans la transition écologique. Des critères exigeants doivent être établis pour aligner la transformation des entreprises aux enjeux écologiques.
- Encourager l’économie circulaire par l’intermédiaire de la fiscalité
La fiscalité est un levier clef d’orientation économique. Elle doit permettre le développement d’une économie plus écologique en instituant une réduction de la TVA sur les produits et services issus de l’économie circulaire. De même, l’installation d’artisans de la réparation sera soutenue via une franchise fiscale durant les 2 premières années.
- Appuyer la recherche et développement de la transition écologique
Il est essentiel d’avoir un financement public et privé solide pour soutenir la recherche et développement de la transition écologique. Le crédit-impôt recherche doit servir cette fin en priorisant son soutien aux activités de recherche et développement engagées dans la transition.
- Transformer la commande publique pour aligner les intérêts des acteurs.
La commande publique est un puissant levier de transformation du secteur économique et doit donc faire preuve d’ambition pour aligner les intérêts des acteurs économiques sur la transition écologique. Le marché public doit en particulier passer d’une logique de critères à une logique de transformation pour favoriser les entreprises qui ont transformé leur modèle économique. L’incitation à la transformation peut par ailleurs être facilitée par la présentation d’une vision pluriannuelle d’évolution de la commande publique qui permettrait aux entreprises d’anticiper leur propre transition. Il apparaît enfin essentiel d’associer les acteurs publics dont le poids économique est important – santé, défense, éducation, transport – à ces réflexions sur les politiques industrielles.
- Intégrer les logiques non-marchandes
L’économie française doit davantage intégrer les offres non-marchandes dans la commande publique et l’élaboration de solutions en leur permettant, par exemple, de répondre aux appels d’offres avec la même légitimité.
- Sanctionner les activités néfastes pour l’environnement
L’encouragement des bonnes pratiques doit s’accompagner de sanctions des activités toxiques. Les sanctions peuvent être de nature fiscale mais aussi tarifaire, réglementaire ou encore juridique.
ADOPTER UNE APPROCHE TERRITORIALE DÉCENTRALISÉE
- Impliquer les collectivités territoriales dans les projets de circularité
Le développement concret de l’économie circulaire sur les territoires nécessite de s’appuyer sur les synergies locales. L’implication des intercommunalités, des régions et des projets transfrontaliers dans le déploiement de projets circulaires territoriaux est donc un enjeu majeur auquel l’État doit apporter son soutien. L’action conjointe des collectivités permettra ainsi le développement de pôles de circularité (“Circularity hubs”), construits selon les forces et les atouts propres à chaque territoire.
- Répartir les retombées positives à l’échelle du territoire
Le dialogue social doit impérativement s’accompagner d’une logique de répartition des retombées positives liées à l’implantation d’un projet industriel sur un territoire. Nous pouvons par exemple imaginer que les projets d’installation d’énergies renouvelables contribuent directement au budget des collectivités locales qui les accueillent. Une telle répartition constituerait une incitation positive et légitime aux yeux des habitants dans la mesure où ces projets amélioreraient leur cadre de vie en finançant les services publics.
- Prioriser les territoires relégués
La répartition des bienfaits de cette politique industrielle doit également prendre une dimension géographique. Au vu des inégalités territoriales en matière d’opportunité économique, il apparaît essentiel que les territoires relégués – urbains et ruraux – soient prioritaires dans la mise en place de la stratégie industrielle. Il s’agirait d’y déployer des opportunités de formation et d’emploi prioritairement destinés aux publics les plus éloignés de l’emploi. Au-delà des retombées économiques et sociales, cette politique peut être l’occasion de tisser des liens entre les territoires enclavés les uns des autres et ainsi favoriser une coopération inter-territoriale.
- Intégrer le design d’usage dans les politiques économiques
En travaillant sur les usages, on peut réduire les consommations inutiles en termes d’ergonomie, de finances publiques et d’impact environnemental. Les collectivités qui ont recours au design d’usage lors d’aménagement public augmentent ainsi leur efficacité économique et environnementale. L’exemple des collaborations entre écoles de design comme l’École Strate Action sociale et les collectivités publiques est éclairant.
ENCOURAGER LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
- Renforcer la coopération économique et industrielle européenne
L’Union Européenne doit nous permettre d’engager de manière systématique des coopérations économiques et industrielles à l’échelle du continent, en particulier dans les secteurs de la transition écologique. Concrètement, il s’agit d’insister sur la complémentarité logistique manufacturière entre les territoires et sur la cohérence économique et écologique de l’ensemble des projets et produits. Dans tous les domaines, l’UE pourra compter sur l’agrégation de ressources, de savoir-faire ainsi que sur la taille de son marché intérieur pour atteindre ses objectifs – à condition d’adopter une logique coopérative et non inutilement concurrentielle. Lorsque les politiques communautaires ne sont pas à même de relever le défi, les coopérations interétatiques peuvent également être encouragées. Enfin, la politique dite “de voisinage” de l’union européenne peut intégrer une dimension économique et industrielle, centrée sur la transition écologique, pour faire en sorte que les bienfaits soient partagés au sud comme au nord de la Méditerranée, à l’est comme à l’ouest de l’Europe, dans la mesure des contraintes géopolitiques.
- Conserver une logique de coopération internationale pour l’innovation
Alors que les relations diplomatiques se tendent sous les effets de la crise écologique, en particulier climatique, il est primordial de conserver une logique de coopération internationale dans un domaine dans lequel nous avons autant à apprendre qu’à partager : l’innovation. Il nous faut continuer à créer des zones de coopération pour mettre en commun les solutions développées à travers le monde, tout en questionnant la notion de propriété intellectuelle, dans la mesure où certains procédés n’ont pas vocation à être brevetés.
La politique de réindustrialisation permet d’opérer une remontée des filières vers la France et l’Europe, d’engager des coopérations industrielles internes et externes, et de réintroduire la production locale là où celle-ci s’était éloignée. Une telle politique doit cependant impérativement s’accompagner d’une vision plus pragmatique, plus économe, plus écologique, et plus juste de la production économique. C’est précisément cette vision qui fait défaut à la proposition du gouvernement. Entreprendre Vert appelle donc les parlementaires à réhausser le niveau d’ambition du projet de loi en s’inspirant des propositions formulées ici.
0 commentaire