Le point de vue d’Anne Bringault sur les villes durables

Anne Bringault

A l’occasion de la Semaine Européenne du Développement Durable, Entreprendre Vert a demandé le point de vue d’Anne Bringault, responsable des sujets de transition énergétique au sein du CLER Réseau pour la transition énergétique et du Réseau Action Climat – RAC, sur les villes durables.

Diplômée de Grenoble École de Management, Anne Bringault a travaillé pendant 11 ans dans un cabinet anglo-saxon de conseil en organisation et en systèmes d’information. Elle a ensuite dirigé pendant 6 ans une association de protection de l’environnement. Elle coordonne depuis 2012 le travail des ONG pour des politiques en faveur de la transition énergétique.

Quel est selon vous le top 3 des problématiques auxquelles les villes matures doivent faire face pour effectuer une transition écologique ?

Une transition écologique réussie implique de définir le cap vers lequel les villes veulent tendre pour identifier et obtenir un consensus sur les modifications à apporter. Ainsi, se fixer un cap vers le 100 % énergies renouvelables en 2050, comme l’ont fait les maires de 700 villes du monde entier le 4 décembre 2015, nécessite de réduire fortement la consommation d’énergie et d’isoler de manière performante l’ensemble des logements. Sachant cela, on peut prévoir un rythme annuel de rénovations et mettre en place les mesures pour se mettre sur cette trajectoire. Mener un travail prospectif à 2050 est donc indispensable, y compris pour définir des actions immédiates.

Si la transition écologique amène les villes à se projeter davantage dans le futur, elle les conduit aussi à construire de nouvelles coopérations avec les territoires ruraux alentour. Ainsi, une ville dense, même si elle réduit fortement sa consommation d’énergie, ne pourra pas produire toute l’énergie renouvelable nécessaire sur son territoire. Elle devra donc, pour s’approvisionner, coopérer avec des territoires ruraux qui, au contraire, peuvent produire au delà de leur propre consommation.

Enfin, la transition écologique modifie le rôle des villes. Elles réalisent qu’elles n’ont pas la main sur une grande partie des actions à mettre en œuvre et qui seront initiées par des acteurs privés, des particuliers, des associations… Comment amener par exemple les restaurants à développer une offre de produits bio et locaux et des plats végétariens ? La collectivité, d’actrice du changement, devient animatrice d’un réseau d’acteurs très variés qui vont chacun amener leur pierre à l’édifice et co-construire un futur durable.

Quels sont les nouveaux acteurs de la ville durable et comment améliorer la gouvernance des villes sur les sujets de transition écologique ?

Si les entreprises de l’énergie, du bâtiment, du transport, etc… développent des offres pour la ville durable, les changements principaux sont liés à l’arrivée de nouveaux acteurs. Des entreprises du digital, de la communication et des start-ups proposent ainsi des services et applications pour réduire la consommation d’énergie et les pollutions. De l’optimisation des trajets ou des tournées pour le fret au développement de réseaux intelligents pour adapter la demande à la production, les innovations sont nombreuses et trouveront un modèle économique si elles partent des usages et des besoins des différents acteurs. Par ailleurs, des agriculteurs, des particuliers, des associations, des collectivités deviennent producteurs d’énergie, transformant définitivement le monde de l’énergie tel qu’il était ces dernières décennies.

Pour que les changements profonds liés à une transition vers des villes durables et 100 % d’énergies renouvelables soient soutenus, mais aussi parce que les différents acteurs – citoyens, entreprises, agriculteurs, administrations… – peuvent apporter des idées et des solutions concrètes, la participation de tous doit être largement favorisée, et ceci dès l’exercice de prospective. Il s’agit ici, non plus d’organiser une concertation, mais de co-construire un nouveau système, de décloisonner les politiques, de créer un élan partagé. Chaque famille d’acteurs apportera sa complexité, mais aussi renforcera le processus en apportant ses propres intérêts, ainsi que ses propres compétences. Les solutions identifiées et mise en œuvre seront ainsi plus pérennes.

Villes, territoires, régions : quel est le bon niveau d’action et de prise de décision ?

L’Etat, en chef d’orchestre et garant des objectifs généraux, continuera à fixer le cap. Mais, avec la loi NOTRe et celle relative à la transition énergétique pour la croissance verte, les collectivités ont maintenant davantage de compétences pour mettre en place leur transition écologique.

Concrètement, c’est au niveau des villes et des intercommunalités que les actions seront mises en œuvre car elles nécessitent de la proximité : accompagnement à la rénovation des bâtiments, solutions de mobilité alternatives, réduction de la précarité énergétique, investissement dans les projets de production d’énergies renouvelables… autant d’enjeux dont les villes, métropoles et intercommunalités doivent s’emparer.

Les Régions, elles, seront garantes de l’égalité entre les territoires infra. Les villes et métropoles bénéficient en général de plus de moyens financiers et techniques que les territoires ruraux. Les Régions devront donc veiller, par exemple, à l’accès pour tous les particuliers, même en milieu rural, à une plateforme de la rénovation. De même, les besoins en énergies renouvelables pour les villes pourraient entrer en concurrence avec ceux des territoires ruraux. Qui utilisera en priorité la ressource en bois, parfois limitée ? Les villes et leurs chaufferies ou les campagnes proches des forêts ? La Région pourra assurer un dialogue pour faciliter des arbitrages équitables entre des collectivités et acteurs aux moyens très disproportionnés.

Quels sont les modèles de mobilité durable qui peuvent être facilement mis en place dans les villes matures ?

Les villes se sont transformées depuis plus d’un siècle pour donner une place prédominante dans l’espace public à la circulation automobile, avec en corollaire la congestion et les problèmes de santé publique liés à la pollution. Pourtant, des alternatives sont possibles en particulier puisque 50 % des trajets faits en automobile en ville sont inférieurs à 3 km, 15 % sont inférieurs à 500 m.

La mobilité durable passera par des véhicules moins polluants, électriques ou au roulant au biogaz par exemple, mais aussi par le développement d’alternatives au véhicule individuel : transports en commun, infrastructures pour faciliter les mobilités actives (vélo, marche à pied), réduction de la distance domicile-travail, télétravail, co-voiturage… Par ailleurs, l’espace public devra être repensé pour redonner leur place aux piétons, cyclistes, patineurs… Ainsi, la limite de 30 km/h peut devenir la règle et non plus l’exception en ville et des zones à circulation restreinte peuvent être mise en place. Pour en savoir plus : http://www.rac-f.org/Les-Villes-respire-de-demain-repenser-la-mobilite-face-a-l-urgence-climatique

Quels sont les plus grands obstacles à l’amélioration de l’efficacité énergétique du parc d’habitation dans les villes matures ?

Comme pour le reste du territoire, la rénovation des logements n’arrive toujours pas à un vrai stade de massification du fait de la complexité des aides au financement, du manque de confiance des particuliers dans les résultats obtenus ou encore de la difficulté, pour les artisans, à s’organiser, par exemple sous forme de groupement, pour apporter une réponse complète en matière de travaux.

Les villes matures, avec leurs logements collectifs et leurs bâtiments à préserver du point de vue patrimonial, apportent d’autres spécificités. Engager des travaux dans des copropriétés avec des processus de décision plus complexes et lents, concilier efficacité énergétique et patrimoine, autant d’enjeux qui nécessitent de donner un cap clair, mais aussi de mettre en place un dialogue constructif entre acteurs sur le terrain. Trop longtemps les politiques ont fixé des objectifs nationaux qui n’ont pas été suivis d’effet. Il est temps de fixer un cap clair pour la rénovation énergétique des bâtiments, de définir une stratégie et des moyens pour les tenir, et d’organiser un suivi régulier. Par ailleurs, un accompagnement et un dialogue renforcé sont nécessaires au niveau local pour que les particuliers engagent les travaux les plus efficaces pour réduire leur consommation d’énergie tout en préservant au mieux la valeur architecturale des bâtiments.

Quelles sont les pistes de diversification des ressources énergétiques des villes matures au delà du transport durable et de l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ?

La réduction de la consommation d’énergie est la priorité pour les villes. C’est là qu’elles peuvent jouer un rôle moteur efficace. Mais elles peuvent devenir également productrices d’énergies renouvelables. La loi relative à la transition énergétique leur permet d’investir dans des projets de production d’énergies renouvelables sur leur territoire ou alentour. L’apport en capital dans les projets de production d’énergies renouvelables permet à la collectivité de viabiliser ces projets en augmentant la part des fonds propres, en fonction des moyens dont elle dispose en termes d’investissement. Il lui permet aussi de s’impliquer dans la gouvernance du projet et de faire retomber sur les territoires les bénéfices réalisés. L’implication des citoyens avec une ouverture au financement participatif est également un gage d’une meilleure appropriation. Par ailleurs, une partie du revenu des projets de production d’énergies renouvelables peut aussi être utilisée pour financer des actions de réduction de la consommation d’énergie : accompagnement des ménages pour des projets de rénovation de leur logement, meilleure efficacité énergétique de l’éclairage public, travaux de rénovation de bâtiments publics… contribuant ainsi au cercle vertueux vers le 100 % énergies renouvelables.

Quelles sont les innovations en cours dans les villes européennes et à l’international qui pourraient être mises en oeuvre dans les villes françaises ?

Nous avons réalisé des études de cas pour 5 villes européennes qui ont pris des engagements vers le 100 % énergies renouvelables. Le point commun, c’est la volonté, outre l’enjeu du climat et de la transition énergétique, de trouver de nouveaux débouchés économiques et des vecteurs d’innovation. Ainsi, Malmö, ancien pôle industriel en Suède, avait vu sa population décliner de 40 000 habitants partis chercher un emploi ailleurs. En misant sur ses savoir-faire, sur la culture et sur le développement durable, Malmö redevient le centre économique du sud de la Suède. En s’appuyant sur des exemples réussis d’écoquartiers, la ville mise sur un mix énergétique intégrant éolien, solaire, biogaz, hydraulique… et vise le 100 % énergies renouvelables en 2030. Barcelone…

Quelles sont les actions entreprises par votre organisme sur le sujet des villes durables ?

Le CLER, Energy Cities et le Réseau Action Climat se sont associés pour rédiger une publication sur les villes 100 % énergies renouvelables. Celle-ci a pour objectif d’apporter des pistes d’orientations et de solutions pour les villes et métropoles françaises désireuses d’avancer dans une démarche vers le 100 % énergies renouvelables. Nous nous sommes appuyés sur les connaissances et expériences acquises dans nos réseaux, mais aussi sur près de 30 entretiens avec des élus et agents d’une quinzaine de collectivités en France.

Pour apporter une autre perspective, nous avons sélectionné cinq champions européens qui montrent le chemin. Malgré des motivations, approches et calendriers différents, ces villes ou régions visent toutes le développement d’un système énergétique cohérent basé sur l’efficacité énergétique et l’utilisation maximale d’énergies renouvelables et interconnectées. Leur politique déclinée en plans d’actions est construite grâce à des partenariats solides et flexibles capables de mobiliser les acteurs locaux autour d’un projet collectif.

Puis, dans la deuxième partie de la publication, nous proposons cinq fiches thématiques avec des exemples de réalisations et projets en France qui illustrent les chemins vers le 100 % énergies renouvelables.

Nous nous appuyons sur cette publication et ses retours d’expériences pour inciter les villes et métropoles à s’engager vers une réelle transition énergétique et climatique, en particulier en cette période de conception de nouveaux Plans climat air énergie territoriaux. Nous mettons en avant 5 recommandations : Donner une vision d’avenir à 2050 et intégrer le 100 % énergies renouvelables parmi des enjeux plus vastes, mettre en œuvre des coopérations avec les territoires ruraux alentour, montrer des réussites avec des projets concrets, inventer de nouveaux modes d’implication des acteurs du territoire et se donner les moyens humains de réussir.

Selon vous, quel rôle une structure telle que l’association Entreprendre Vert peut avoir pour favoriser la transition vers les villes durables ?

L’urgence d’agir, notamment face aux changements climatiques et aux pollutions locales, et l’ampleur des chantiers à lancer qui vont concerner tous les domaines de la ville et tous ses acteurs, nécessitent de renforcer l’agilité de nos organisations. L’association Entreprendre Vert, en facilitant le dialogue et les échanges d’expériences pourra contribuer à cette transformation pour quelle bénéficie à tous.

Entretien réalisé par Marie-Laetitia Gourdin 

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